Wednesday, August 17, 2005

25 Janvier 1995 : l'arme nucléaire était sur le point d'être utilisée ...

7 septembre 1999 / Débat au Sénat américain sur l'utilisation des armements nucléaires

Motion incitant les puissances nucléaires à retirer la cote d'alerte de leurs armes-Ajournement du débat

L'honorable Douglas Roche, conformément à son avis du 7 septembre 1999, propose:
Que le Sénat recommande que le gouvernement du Canada incite vivement les puissances nucléaires déclarées ainsi que l'Inde, le Pakistan et Israël à retirer dès que possible la cote d'alerte de toutes leurs forces nucléaires.

Le 25 janvier 1995, des techniciens militaires dans une poignée de stations radar du nord de la Russie ont soudainement vu apparaître un spot préoccupant sur leurs écrans. Une fusée, lancée de quelque part au large de la côte de la Norvège, s'élevait rapidement dans la nuit. Les radaristes, bien conscients du fait qu'un seul missile lancé par un sous-marin américain se trouvant dans ces eaux pourrait lâcher huit bombes nucléaires sur Moscou en 15 minutes, ont immédiatement alerté leurs supérieurs.

Le message fut rapidement transmis des autorités militaires russes au président Boris Eltsine qui, tenant la mallette électronique servant à ordonner le lancement de missiles nucléaires en réaction à une menace, s'est vite entretenu par téléphone avec ses principaux conseillers. Pour la première fois, la mallette en question fut activée pour répondre à une situation d'urgence.

Pendant quelques longues minutes, la trajectoire de la mystérieuse fusée est demeurée inconnue pour les hauts fonctionnaires inquiets de la Russie. L'angoisse a atteint son comble lorsque les divers étages de la fusée se sont séparés, donnant l'impression de l'attaque possible de plusieurs missiles. Toutefois, les radars ont continué à suivre leurs cibles. Au bout de huit minutes environ, les hauts gradés ont déterminé que la fusée allait s'abattre loin en mer et ne constituait aucune menace pour la Russie.

Cette fusée s'est révélée être une sonde scientifique américaine visant à étudier les aurores boréales. Des semaines plus tôt, les Norvégiens avaient dûment informé les autorités russes du lancement projeté de la fusée à partir de l'île d'Andoya, mais, d'une façon ou d'une autre, cette information sur l'expérience en haute altitude n'était pas venue aux oreilles des bonnes personnes. Cet incident effrayant, aux dires de Scientific American, montre bien à quel point il est dangereux de garder des arsenaux nucléaires dans un état d'alerte précaire.

On accroît ainsi la possibilité que quelqu'un lance malencontreusement un jour des missiles nucléaires, par suite d'une déficience technique ou d'une erreur humaine. Une erreur commise dans l'empressement de réagir à de faux signes d'attaque.

L'incident norvégien n'est pas un cas isolé. Le Centre for Defense Information basé aux États-Unis rapportait ce mois-ci que, de 1977 à 1984, on a traité 20 784 fausses alertes nucléaires, la plupart mineures.

En mars dernier, l'ancien commandant en chef du commandement stratégique américain, le général Lee Butler, a déclaré devant une séance mixte des comités des affaires étrangères du Sénat et de la Chambre des communes que, sur confirmation d'une attaque imminente, le président américain disposerait de 12 minutes seulement pour décider de répliquer ou non.

Les militaires américains et russes ont depuis longtemps mis au point des méthodes à suivre pour prévenir les accidents. Toutefois, leur équipement n'est pas à toute épreuve. Les systèmes russes d'alerte avancée et de commandement nucléaire se détériorent. Les autres systèmes d'armes nucléaires, et notamment ceux de l'Inde et du Pakistan, sont encore moins fiables. Tous comptes faits, 5 000 armes nucléaires peuvent être déclenchées en dedans de quelques minutes. Le sort de l'humanité ne doit pas tenir à un fil aussi ténu.

Ainsi, on assiste actuellement dans le monde au développement d'un mouvement en faveur de la suppression de la cote d'alerte de toutes les forces nucléaires. Cela serait fait par l'enlèvement des ogives nucléaires sur les véhicules les transportant. Tel est l'objet de la motion que je présente respectueusement au Sénat. Elle se lit comme suit:

Que le Sénat recommande que le gouvernement du Canada incite vivement les puissances nucléaires déclarées ainsi que l'Inde, le Pakistan et Israël à retirer dès que possible la cote d'alerte de toutes leurs forces nucléaires.

Honorables sénateurs, vous reconnaîtrez que la motion est libellée de façon étroite. Le sujet des armes nucléaires est vaste et complexe. L'abolition des armes nucléaires, ce dont je suis en faveur, donnera lieu à un long débat, mais la suppression de la cote d'alerte est une notion précise et simple qui peut être réalisée immédiatement et mutuellement vérifiée. Il faut le faire pour prévenir une catastrophe qui pourrait être causée par une erreur humaine, une défaillance des systèmes, des gestes irrationnels ou simplement par un malencontreux hasard.

D'aucuns pourraient interpréter cette motion comme étant liée au fameux bogue de l'an 2000, qui concerne la capacité des ordinateurs d'interpréter correctement le changement de date au moment du passage à l'an 2000. Il est vrai que l'incapacité des ordinateurs de reconnaître l'an 2000 pourrait se répercuter sur le commandement, le contrôle ainsi que les systèmes de renseignement et de communication des forces nucléaires. Il pourrait y avoir un problème la veille du jour de l'an, à minuit.

Cependant, la Russie et les États-Unis se préoccupent suffisamment de cette question pour projeter d'établir un centre commun aux États-Unis où siégeraient côte à côte pendant quelques jours une poignée d'officiers américains et russes durant le passage à l'an 2000 pour surveiller les spots sur les écrans nucléaires. Ces officiers seraient en contact direct avec leurs commandements nationaux respectifs pour dissiper toute crainte au sujet des spots au moment du changement de date. Compte tenu de leur vive inquiétude quant au mauvais fonctionnement d'ordinateurs mal préparés, d'importants sénateurs américains ont demandé que la Chine, l'Inde et le Pakistan soient invités à ce centre de préalerte.

Cette réaction à un problème en puissance ne convient pas, c'est évident. Le passage à l'an 2000 ne fait que mettre en évidence le danger qui pèse actuellement sur le monde en raison de la cote d'alerte des forces nucléaires. Le monde a besoin de la sécurité que lui assurerait la suppression de la cote d'alerte des forces nucléaires, non pas seulement la veille du Nouvel An, mais tous les jours de l'année.

Honorables sénateurs, en résumé, l'argument présenté par la Commission de Canberra, formée d'experts internationaux, est qu'on doit mettre fin à la pratique consistant à garder des missiles équipés d'ogives nucléaires en état d'alerte pour les raisons suivantes: c'est une perpétuation très regrettable des attitudes datant du temps de la guerre froide; cela risque de créer inutilement des situations instables; cela retarde le processus critique de normalisation des relations entre les États-Unis et la Russie; cela envoie le message clair, et très dommageable du point de vue du contrôle des armements, selon lequel les armes nucléaires jouent un rôle vital sur le plan de la sécurité; cela ne cadre pas du tout avec la transformation extraordinaire qui s'est opérée dans le milieu de la sécurité internationale.

Honorables sénateurs, mettre fin à l'état d'alerte nucléaire aurait pour effet de réduire de façon importante les risques de lancement accidentel ou non autorisé d'armes nucléaires, en plus d'avoir une influence positive sur le climat politique au sein des États dotés d'armes nucléaires et de favoriser une coopération accrue.

La Commission de Canberra a conclu que la mise hors d'état d'alerte des forces nucléaires pourrait être vérifiée par des moyens techniques nationaux et par des arrangements en matière d'inspection entre les États dotés d'armes nucléaires. La mise hors d'état d'alerte bénéficie d'un fort appui. Le gouvernement du Canada est en faveur d'une telle mesure, et il a d'ailleurs exprimé son appui dans sa réponse officielle au rapport sur les armes nucléaires du comité permanent des affaires étrangères et du commerce international. Par conséquent, cette motion cadre parfaitement bien avec la politique gouvernementale.

Le gouvernement du Royaume-Uni a assoupli les directives concernant la mise à feu de ses armes nucléaires, faisant passer le préavis de quelques minutes à quelques jours. Des résolutions de l'Assemblée générale des Nations Unies demandent avec insistance une diminution du niveau d'alerte.

Le rapport du président au sujet du processus préparatoire de trois ans en vue de l'examen en l'an 2000 du Traité de non-prolifération préconise une diminution du niveau d'alerte afin d'éviter les lancements accidentels ou non autorisés.

Les Amis de la Terre de Sydney, en Australie, ont obtenu le soutien de 380 organismes de partout dans le monde qui sont favorables à la diminution du niveau d'alerte.

Honorables sénateurs, je suis retourné il y a quelques années à Hiroshima et à Nagasaki, les deux villes du Japon qui ont connu la bombe atomique. J'ai visité ces endroits à plusieurs reprises. Chaque fois, ce fut une expérience profonde qui m'a aidé à comprendre le pouvoir destructeur des armes nucléaires.

Le déclenchement accidentel d'une guerre nucléaire demeure de nos jours une immense menace pour l'humanité. Nous pouvons contribuer à la réduction de cette menace. Honorables sénateurs, je soumets cette motion à votre attention.

L'honorable John B. Stewart: Honorables sénateurs, puis-je poser une question au sénateur Roche?

Il a prononcé un discours persuasif qui m'amène à poser la question suivante: étant donné que ce qu'il dit est plausible, comment se fait-il que les États possédant des armes nucléaires, ainsi que l'Inde, le Pakistan et Israël, n'ont pas déjà vu à ce que leurs forces nucléaires abandonnent leur situation d'alerte? Existe-t-il une raison justifiant cette situation, ou s'agit-il simplement d'une attitude récalcitrante de la part d'un ou de plusieurs États?

Le sénateur Roche: Je remercie l'honorable sénateur Stewart d'avoir posé cette question.

Si les principaux États possédant des armes nucléaires, notamment les États-Unis et la Russie, ainsi que le Royaume-Uni, la France et la Chine, n'ont pas diminué leur niveau d'alerte, c'est principalement parce que ces armes s'inscrivent dans une stratégie de dissuasion nucléaire. Certains soutiennent qu'en diminuant le niveau d'alerte, ils annulent ou diminuent l'effet constant de dissuasion nucléaire. Cet argument a été réfuté. Si jamais il y avait une urgence ou une crise dans le domaine des affaires internationales, les armes nucléaires pourraient être remises en service.

Par conséquent, c'est pour garantir la sécurité des principales régions dans le monde que le processus, la campagne ou le mouvement de diminution du niveau d'alerte a pris de l'essor. Les tenants du retrait de la cote d'alerte estiment qu'il est plus important, pour la sécurité de l'humanité, de retirer la cote d'alerte que de préserver la dissuasion nucléaire telle qu'on l'a connue durant les années de guerre froide.

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